activités lors du confinement mars 2020
FEUILLE 5
Valère et Lucas conduisent Sganarelle (déguisé en médecin) chez Géronte, leur maître (un riche bourgeois) dont la la fille est atteinte d’une étrange maladie : elle a perdu la parole.
Acte 2, scène 4
LUCINDE, VALÈRE, GÉRONTE, LUCAS, SGANARELLE, JACQUELINE.
SGANARELLE.- Est-ce là, la malade ?
GÉRONTE.- Oui, je n’ai qu’elle de fille : et j’aurais tous les regrets du monde, si elle venait à mourir.
SGANARELLE.- Qu’elle s’en garde bien, il ne faut pas qu’elle meure, sans l’ordonnance du médecin.
GÉRONTE.- Allons, un siège.
SGANARELLE.- Voilà une malade qui n’est pas tant dégoûtante : et je tiens qu’un homme bien sain s’en accommoderait assez.
GÉRONTE.- Vous l’avez fait rire, Monsieur.
SGANARELLE.- Tant mieux, lorsque le médecin fait rire le malade, c’est le meilleur signe du monde. Eh bien ! de quoi est-il question ? qu’avez-vous ? quel est le mal que vous sentez ?
LUCINDE répond par signes, en portant sa main à sa bouche, à sa tête, et sous son menton.- Han, hi, hon, han.
SGANARELLE.- Eh ! que dites-vous ?
LUCINDE continue les mêmes gestes.- Han, hi, hon, han, han, hi, hon.
SGANARELLE.- Quoi ?
LUCINDE.- Han, hi, hon.
SGANARELLE, la contrefaisant.- Han, hi, hon, han, ha. Je ne vous entends point : quel diable de langage est-ce là ?
GÉRONTE.- Monsieur, c’est là, sa maladie. Elle est devenue muette, sans que jusques ici, on en ait pu savoir la cause : et c’est un accident qui a fait reculer son mariage.
SGANARELLE.- Et pourquoi ?
GÉRONTE.- Celui qu’elle doit épouser, veut attendre sa guérison, pour conclure les choses.
SGANARELLE.- Et qui est ce sot-là, qui ne veut pas que sa femme soit muette ? Plût à Dieu que la mienne eût cette maladie, je me garderais bien de la vouloir guérir.
GÉRONTE.- Enfin, Monsieur, nous vous prions d’employer tous vos soins, pour la soulager de son mal.
SGANARELLE.- Ah ! ne vous mettez pas en peine. Dites-moi un peu, ce mal l’oppresse-t-il beaucoup ?
GÉRONTE.- Oui, Monsieur.
SGANARELLE.- Tant mieux. Sent-elle de grandes douleurs ?
GÉRONTE.- Fort grandes.
SGANARELLE.- C’est fort bien fait. Va-t-elle où vous savez ?
GÉRONTE.- Oui.
SGANARELLE.- Copieusement ?
GÉRONTE.- Je n’entends rien à cela.
SGANARELLE.- La matière est-elle louable ?
GÉRONTE.- Je ne me connais pas à ces choses.
SGANARELLE, se tournant vers la malade.- Donnez-moi votre bras. Voilà un pouls qui marque que votre fille est muette.
GÉRONTE.- Eh ! oui, Monsieur, c’est là son mal : vous l’avez trouvé tout du premier coup.
SGANARELLE.- Ah, ah.
JACQUELINE.- Voyez, comme il a deviné sa maladie.
SGANARELLE.- Nous autres grands médecins, nous connaissons d’abord , les choses. Un ignorant aurait été embarrassé, et vous eût été dire : "C’est ceci, c’est cela" : mais moi, je touche au but du premier coup, et je vous apprends que votre fille est muette.
GÉRONTE.- Oui, mais je voudrais bien que vous me pussiez dire d’où cela vient.
SGANARELLE.- Il n’est rien plus aisé . Cela vient de ce qu’elle a perdu la parole.
GÉRONTE.- Fort bien : mais la cause, s’il vous plaît, qui fait qu’elle a perdu la parole ?
SGANARELLE.- Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c’est l’empêchement de l’action de sa langue.
GÉRONTE.- Mais, encore, vos sentiments sur cet empêchement de l’action de sa langue ?
SGANARELLE.- Aristote là-dessus dit... de fort belles choses.
GÉRONTE.- Je le crois.
SGANARELLE.- Ah ! c’était un grand homme !
GÉRONTE.- Sans doute.
SGANARELLE, levant son bras depuis le coude.- Grand homme tout à fait : un homme qui était plus grand que moi, de tout cela. Pour revenir, donc, à notre raisonnement, je tiens que cet empêchement de l’action de sa langue, est causé par de certaines humeurs qu’entre nous autres, savants, nous appelons humeurs peccantes, peccantes, c’est-à-dire... humeurs peccantes : d’autant que les vapeurs formées par les exhalaisons des influences qui s’élèvent dans la région des maladies, venant... pour ainsi dire... à... Entendez-vous le latin ?
GÉRONTE.- En aucune façon.
SGANARELLE, se levant avec étonnement.- Vous n’entendez point le latin !
GÉRONTE.- Non.
SGANARELLE, en faisant diverses plaisantes postures.- Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo hæc Musa, "la Muse", bonus, bona, bonum, Deus sanctus, estne oratio latinas ? Etiam, "oui", Quare, "pourquoi ?" Quia substantivo et adjectivum concordat in generi, numerum, et casus .
GÉRONTE.- Ah ! que n’ai-je étudié !
JACQUELINE.- L’habile homme que velà !
[...]
SGANARELLE.- Mon avis est qu’on la remette sur son lit : et qu’on lui fasse prendre pour remède, quantité de pain trempé dans du vin.
GÉRONTE.- Pourquoi cela, Monsieur ?
SGANARELLE.- Parce qu’il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique, qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu’on ne donne autre chose aux perroquets : et qu’ils apprennent à parler en mangeant de cela ?
GÉRONTE.- Cela est vrai, ah ! le grand homme ! Vite, quantité de pain et de vin.
[…]
GÉRONTE.- Attendez un peu, s’il vous plaît.
SGANARELLE.- Que voulez-vous faire ?
GÉRONTE.- Vous donner de l’argent, Monsieur.
SGANARELLE, tendant sa main derrière, par dessous sa robe, tandis que Géronte ouvre sa bourse.- Je n’en prendrai pas, Monsieur.
GÉRONTE.- Monsieur...
SGANARELLE.- Point du tout.
GÉRONTE.- Un petit moment.
SGANARELLE.- En aucune façon.
GÉRONTE.- De grâce.
SGANARELLE.- Vous vous moquez.
GÉRONTE.- Voilà qui est fait.
SGANARELLE.- Je n’en ferai rien.
GÉRONTE.- Eh !
SGANARELLE.- Ce n’est pas l’argent qui me fait agir.
GÉRONTE.- Je le crois.
SGANARELLE, après avoir pris l’argent.- Cela est-il de poids ?
GÉRONTE.- Oui, Monsieur.
SGANARELLE.- Je ne suis pas un médecin mercenaire.
GÉRONTE.- Je le sais bien.
SGANARELLE.- L’intérêt ne me gouverne point.
GÉRONTE.- Je n’ai pas cette pensée.
VOCABULAIRE
Contrefaisant : imitant
Va-t-elle où vous savez : aux toilettes
copieusement : beaucoup
matière = matière fécale = caca
louable : digne de compliments
pouls : les battements du coeur
d’abord : tout de suite
aisé : facile
humeurs : liquides du corps
Quia substantivo et adjectivum concordat in generi, numerum, = les noms et les adjectifs s’accordent en genre et en nombre… (Sganarelle récite des leçons de grammaire)
Pour comprendre la médecine à l’époque de Molière, lis l’article suivant : https://fr.wikimini.org/wiki/M%C3%A9decine_au_temps_de_Moli%C3%A8re_(XVII%C3%A8me_si%C3%A8cle)
QUESTIONS
1) Sganarelle est comme un vrai médecin : trouve 5 preuves.
2) Qu’est-ce qui révèle que Sganarelle est un faux médecin ?
3) Qu’est-ce que les autres personnages pensent de Sganarelle ? Et toi, que penses-tu de lui ?
4) Quel remède Sganarelle prescrit-il ? A ton avis, quelles conséquences ce remède aura-t-il sur Lucinde ?
5) Qu’est-ce qui fait rire dans cette scène ? Donne 5 réponses et essaie de préciser de quel procédé comique il s’agit (comique de mot, de situation, de gestes, de caractère, …?)
6) Explique cette phrase du début de l’extrait « il ne faut pas qu’elle meure, sans l’ordonnance du médecin ». Pourquoi est-ce comique ?
7) Quelle image des médecins Molière nous donne-t-il dans cet extrait ?